Écrire sur une page web vierge. Expérience étrange et intéressante : pour inscrire des mots, des signes sur cette surface virtuelle, il faut écrire d'autres mots, d'autres signes. Écrire pour écrire. Une double couche d'écriture.
S'adresser aux navigateurs, en leur indiquant ce que l'on souhaite (et comment) ce qu'ils affichent sur la page. Une sorte de téléphone arabe : on leur chuchote à l'oreille discrètement des missives précises, pour qu'ils transmettent le texte à l'écran, sans le déformer. Ou plutôt, en le formant, en le mettant en forme d'une certaine manière, justement. Ces missives ordonnées se cachent derrière chaque page web que l'on consulte, il suffit de faire clic droit>code source de la page, pour que cette étrange poétique numérique s'affiche. Une langue écrite pour entrer en relation avec la machine, intermédiaire indispensable à cette mise en relation humain-humain, auteur-lecteur à distance. Elle veut se faire oublier, que l'on ne la remarque pas. Peu de gens ont conscience de sa présence. Et pourtant, comme tout intermédiaire, il transforme un peu, évidemment, le message qu'il transmet, qui le traverse.
Ces langages - il y en a une multitude, en réalité- ont été inventés par des humains. Ce sont des langues comme des autres, avec leurs règles de syntaxes et de grammaire, mais qui tolèrent peu les approximations et encore moins les néologismes (qui seront corrigées automatiquement par le navigateur, parfois de manière maladroites, rendant l'affichage alors aléatoires). Comme toute langue, elles ont leurs limites expressives, évidemment. On ne peut pas tout faire dire (ou montrer) à un serveur en lui parlant le langage html, alors on précise dans une autre langue, le css, et puis on rajoute du javascript, ou du php, etc, etc. Les missives deviennent de plus en plus longues, de plus en complexes. Le lecteur lui ne voit seulement que de belles pages ordonnées, des mises en pages complexes, s'afficher avec élégance (ou en tant cas selon des idéologiques graphiques précises) sur leur tablette, leur smartphone ou leur écran d'ordinateur. Un code secret souterrain, qui régit notre expérience et nos interactions en ligne. Le balbutier, en connaître quelques mots, permet de prendre la mesure de son pouvoir, et de la place considérable qu'il prend - en arrière-plan, dans nos vies numériques.
Extrait du texte html/css/javascript caché derrière cette page, et qui permet son existence.