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31.

Et si l'expérience de lecture pouvait se faire comme dans les conditions d'un concert de musique live : se laisser porter par des mots, des lettres, des phrases qui - comme des notes de musique - disparaîtraient aussitôt. Sans avoir aucune possibilité de revenir en arrière, des les retenir. Disparu pour toujours. Je déplie la métaphore en pensant à mon expérience des concerts de jazz en petits comités, et leurs lots d'improvisation, rendant de fait chaque set unique. Expérience contrainte au présent, mais qui invite aussi à divaguer, s'enfoncer dans des états de rêveries : quitter parfois complètement la musique, se retrouver dans d'autres espaces-temps, puis revenir, saisir, une ligne instrumentale, une ligne rythmique, une mélodie, des bribes, et puis repartir, et ainsi de suite. C'est ce que permettrait une lecture à l'oral, non ? Uniquement en l'absence d'obligation à réagir, à participer à la conversation : je pense à mes écoutes en différé du séminaire d'Erin, ou aux longues soirées à écouter des discussions en allemand, sans rien comprendre, ou peu, par vagues de sens. État très agréable, l'impossibilité de répondre et l'imaginaire qui carbure pour combler les trous de la compréhension, jusqu'à s'extirper du vraisemblable.

Écrire un programme qui fasse disparaître les mots au moment même où le lecteur/ la lectrice les a parcouru (en s'adaptant à son rythme de lecture, pour éviter la pression du temps). Une encre invisible à l'envers. Quelqu'un.e s'est déjà sûrement amusé.e à bricoler ce genre de chose (?)


Différence entre voix et texte ? Dans la lecture à haute voix, il n'y a pas d'"image du texte" dont parle Emmanuel Souchier, il n'y a pas de matérialité, de support (autre que les vibrations de l'air ?). Mais la matérialité et le support impliquent une permanence, non ? Même partielle, restreinte. Je pense aux réseaux sociaux, où chaque texte, chaque trace écrite reste matériellement sur les serveurs, donc théoriquement consultable à tout moment, mais que le dispositif propre du programme, dégurgitant incessamment du nouveau, de "l'actuel", relègue quasi instantanément de fait aux oubliettes du temps.