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Après une longue session mail devant mon ordinateur, je m'amuse à faire des exercices de dactylo sur ma machine à écrire. En même temps, je pianote des messages sur Whatsapp. Puis, toujours sur la machine, je me mets à rédiger une lettre en allemand à une amie. Je m'arrête régulièrement pour chercher des mots de vocabulaire sur une application dédiée sur mon smartphone. Pendant ce temps-là, une musique de jazz sort d'un vieux lecteur cd. Mais tout à l'heure, j'écoutais un morceaux d'Anthony Baxton en streaming sur mon smartphone, diffusé via bluethooth sur ma radio DAB+.

Étranges va-et-vient entre différentes ères technologiques. Dans quelle(s) réalité(s) sensible(s) cela me plonge ? Qu'est-ce que cela fait de passer d'un clavier tactile, à un clavier électronique, à un clavier mécanique ? La machine à écrire, une technologie sans écran, offre une réalité beaucoup plus physique, sonore, voir charnelle - dans sa rythmique mais aussi sa rudesse. Le clavier tactile, comme le clavier électronique sont tous les deux liés à un écran. C'est lui qui aspire notre regard, notre attention. La conscience des doigts qui cherchent, des mains qui dansent, de la pression des touches, disparaît tout à fait en arrière plan.

La possibilité d'alterner entres différentes technologies - et leur réalité physique propre, le semblant de choix que cela offre, met en place une dynamique assez agréable. D'abord, le simple fait d'avoir le choix atténue l'impression de dépendance, d'enfermement dans un outil. Celle que l'on ressent après plusieurs heures face à son ordinateur, aux mêmes gestes qu'il impose, quand le corps fatigue, cherche à sortir de cette position contrainte.

Dans mon atelier, j'ai installé deux bureaux l'un à côté de l'autre. Sur le premier, j'ai mis mon ordinateur portable, sur l'autre, j'ai posé la machine à écrire. Assise sur mon unique chaise de bureau, je peux passer, rouler, glisser d'un bureau à l'autre, ou alors me lever, aller écrire quelques phrases vite fait sur l'un ou sur l'autre avant de me rasseoir là où j'avais laissé mon siège. Avoir plusieurs appareils à disposition oblige aussi à mettre le corps en mouvement. Ces différentes technologies, bien que dites "portatives", n'en ont pas moins une réalité matérielle concrète qu'il faut placer quelque part dans l'espace, de manière la plus adéquate pour que le corps s'adapte au mieux à la relation physique qu'elles imposent.

Maintenant je corrige ce texte debout à moitié penchée sur le bureau avec un crayon de bois, coincée entre la machine à écrire qui gène mon coude, et la théière qui coince la feuille